UNE IDÉE,... UNE RENCONTRE,… LA NAISSANCE D’UN PROJET AMBITIEUX
Père Camille SESSOU
Les questions de développement et de pauvreté se retrouvent souvent au premier plan des conversations des jeunes Africains notamment dans les milieux scolaires et académiques.
- Comment sortir l’Afrique de sa condition “d’assistée permanente” ?
- Pourquoi les grandes décisions internationales sur sa destinée ont-elles été pendant longtemps prises sans elle et à son détriment ?
- Et comment sortir les pays africains du marasme économique qui fait le lit de tous les maux sociaux minant ce noble, jeune et dynamique continent ?
Ces interrogations m’ont très tôt habité. Déjà séminariste à saint Gall de Ouidah au Bénin (où j’enseigne
actuellement), aidé de Frédéric Kogué (aujourd’hui prêtre), nous avions initié une série de rencontres auprès
des cadres et personnalités politiques du Bénin (MM. Albert Tévoédjrè, Adrien Ahanhanzo Glèlè, Honorat
Aguessy, Théodore Holo etc.) Le questionnaire élaboré à cette occasion a tourné autour des problématiques de
développement de l’Afrique et plus particulièrement du Bénin, des insuffisances du système démocratique, des
sujets épineux comme la corruption, la valeur du travail, et des leviers à mettre en place pour s’affranchir
de l’aide extérieure et ouvrir la voie à une espérance de vie pour l’Afrique.
Au travers de ces différentes thématiques, se dégageait petit à petit la question de la solidarité entre
Africains. De quelle façon les efforts peuvent-ils être fédérés afin d’impulser de l’intérieur la prospérité
et le bien-être par l’entraide ? Car la source du mal de pauvreté (plusieurs voix le soulignent d’ailleurs de
plus en plus), c’est l’individualisation de nos efforts et le saucissonnement de nos moyens.
Ces questions longtemps agitées ont, de plano, orienté le sujet de mon master en théologie vers Saint
Augustin, une grande figure de l’analyse des relations trinitaires que j’ai étudiées dans son œuvre De
Trinitate écrite sur vingt ans. En effet, étudiée au cœur de la doctrine trinitaire de Saint Augustin, la
relation demeure jusqu’à nos jours une notion longtemps travaillée mais toujours assez peu discernée. J’ai
découvert, en philosophie tout comme en théologie, le caractère extrêmement fluide et quasi insaisissable du
concept. J’ai conduit mon travail en interprétant à partir d’Augustin comment la vie relationnelle en Dieu
peut inspirer la vie interpersonnelle des Africains et plus particulièrement celle des Béninois.
J’ai découvert le prolongement de cette perspective augustinienne dans la théologie de Ratzinger dont je me
suis nourri en France à l’occasion d’un travail de thèse. Ce qui m’a le plus fasciné chez ce grand auteur
allemand, c’est son idée du don qu’il assimile à une alliance. L’alliance elle-même est une réalité dynamique.
Elle se concrétise dans une série de dons. Le don n’est donc jamais décrit au singulier. Les successifs dons
constituent le déploiement d’une alliance établie entre le donneur et le bénéficiaire, sujets d’une même
alliance. L’objet de l’alliance, c’est la transmission du don. De telle sorte qu’aucune alliance n’est
refermée sur elle-même. Elle se produit par étapes, comme une liane qui s’agrippe à son tuteur pour s’élancer
vers les hauteurs…
La découverte de cette idée ratzingérienne du don m’a semblé le début d’une réponse à mes nombreuses
interrogations au sujet des maux de l’Afrique. Et si cette idée du don comme alliance imprégnait chaque âme
africaine, ne serait-elle pas le début d’une profonde conversion des consciences ? À y voir de près, les
successifs programmes de développement mis en œuvre, les nombreuses aides déployées par les ONG et diverses
associations ont beaucoup apporté à l’Afrique. Cependant, la plupart de ces instances n’ont pas su éradiquer
l’esprit de mendicité et d’assistanat de la conscience des Béninois. La logique de l’aide apportée et l’idée
du don ont par conséquent diminué chez certains la valeur du travail et le sens de l’effort d’entraide et de
coopération réciproque. C’est pourquoi, aujourd’hui plus que jamais, il me paraît urgent de construire des
réseaux connexes de micro-solidarités intérieures. Ces réseaux d’entraide travailleront davantage à la
fédération de leurs efforts, à la sécurisation des moyens investis pour entreprendre, et à leur
auto-développement… Mais plus que tout cela, ils aideront à créer de nouveaux modèles de solidarités
réciproques pour dynamiser de l’intérieur un mieux-être africain.
Une telle découverte a longuement infusé en moi. Durant mon séjour en France, j’en ai discuté avec de nombreux
amis qui ont été séduits par cette vision du don. Ma rencontre avec Carine Duthoit, a déclenché le processus
de maturation de ce qui en moi n’était que germe.
Carine DUTHOIT
”Mariée, mère de 4 enfants en pleine santé, docteur en pharmacie et co-titulaire d’une officine….Qui aurait pu
croire qu’il manquait quelque chose à ma vie? Personne! pas même moi! Et pourtant …
Mon engagement fortuit en tant qu’animatrice d’aumônerie a été un tournant; il a été à l’origine d’un profond
renouveau dans ma foi et m’a permis de découvrir toute la beauté et la joie parfaite cachées derrière les
verbes AIMER et DONNER. Ces 2 mots n’étant pas assez au cœur de mon métier, j’ai décidé de quitter la
pharmacie pour me former à d’autres activités plus en accord avec moi-même et me laissant du temps pour du
bénévolat.
Durant cette période de quête de sens, j’ai été bouleversée par les cris de détresse et les appels au secours
du Père Camille lorsque sa maman, vivant au Bénin, a contracté le Covid et développé une forme grave. J’ai
alors pris conscience de l’état déplorable du système sanitaire là-bas qui peinait à contenir la grosse vague
meurtrière de cette épidémie. Cela m’a profondément émue.
À l’appel du Père Camille à engager une action concrète qui aille plus loin que nos cris de détresse, j’ai
répondu par un « oui vigoureux ». Ma décision plonge sa racine non seulement dans mon amour pour l’Afrique et
le Bénin, mais aussi dans ma foi revivifiée en la miséricorde divine.”
Le « donnez-leur vous-mêmes à manger » formulé par le Christ à ses disciples avant la multiplication des pains (Lc 9, 13) a sonné en nous comme une voix divine, forte, claire et insistante. À partir de cet instant, l’association est née dans l’âme de chacun de nous deux. Aidés par M. Éric Perret du Cray, nous avons travaillé à en construire les textes majeurs fondateurs. Elle a été portée sur les fonts baptismaux le 6 mars 2022 et lancée définitivement le 4 septembre 2022 lors de la messe d’au-revoir célébrée à Lodève par le père Camille. Elle reste jeune, mais portée par le dynamisme de ses tout premiers membres, dont Anne-Marie Soulage et Francine Robert qui travaillent pied à pied à la faire connaître à tous.